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Ici, il y a la mer. Et une longue ligne de roches empilées qui s’avance loin dedans pour casser les vagues. Et un aigle à tête blanche bien perché dessus. Il attend le retour du bateau. Les gens d’ici savent attendre comme lui. Ils savent aussi comment faire pour casser les vagues de la mer, pour se permettre d’espérer rentrer au port.

Sinon il n’y a rien d’autre que quelques baraquements, des pickups, une toilette verte en plastique et un genre de petite grue portative. Ce n’est pas ça qui fait le beau.

Au loin, un petit bateau avec toutes les générations de pêcheurs à bord. Le plus vieux avait dû voir le quai bien autrement déjà. Et puis des aigles c’était plutôt banal. Un genre de moineau du coin. Le bateau s’est enligné bien droit dans le canal. Facile pour des gens qui ont passé plus de temps en mer que sur la terre ferme. Couper le moteur au bon moment; laisser filer, tranquille, jusqu’au bord. Puis à chacun son rôle et gestes séculaires. Ils ont manœuvré, tiré, enroulé les cordages, attaché le bateau au quai. Sans rien dire comme des danseurs qui connaissent la chorégraphie. Portrait de famille immuable comme l’aigle sur son rocher. C’était un bateau avec un drapeau. Pas de pirate ou de l’Acadie. Un drapeau des Oilers. Ça défiait le décor pastoral.

Puis, celui qui était resté à terre, un des gars de pickups est arrivé en poussant sa patente de grue pour les aider à sortir la grosse caisse de fer. La caisse, c’était leur trésor à eux. Celui qui semblait être le capitaine; chaque bateau si petit soit-il à son capitaine, est débarqué pour jaser. Sans trop rien dire, je me suis retrouvée avec un homard dans les mains. Il savait. M’a expliqué les mâles et les femelles, les œufs et tout le reste aussi. Avec peu de mots et les gestes surtout, il m’a appris. Y’a eu une femelle « pleine » qu’il a rejetée à l’eau comme une prière à la mer. Pourvu qu’elle redonne encore longtemps. Ceux d’avant ont appris ça aux suivants. Si la mer se vide, ce n’est pas leur faute à eux. Mais pour l’heure elle donne assez pour mettre du pain sur leur table et à moi les fruits de la mer dans ma bouillabaisse.

Le gars du pickup est parti avec la précieuse cargaison. L’homme n’était plus capitaine. Curieux lui aussi, il m’a demandé d’où je venais. Devait bien se douter que ce n’était pas trop du coin. J’ai dit Sherbrooke et son visage s’est allumé. M’a parlé de l’usine de bâton de hockey Sherwood. Je ne lui ai pas dit que l’usine avait arrêté ses activités en 1993. Mais j’aurais pu lui dire que les enfants de Léopold Drolet avaient racheté toutes les filiales que l’entreprise Sherwood avait dû céder avec le temps. Et j’ai compris pour le drapeau. Mes ailleurs rencontraient les siens. Et l’aigle à tête blanche continuait de faire le guet.

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J’aime les cordes à linge au printemps

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